Eclairage scientifique : Evaluer
Eclairage scientifique : Evaluer
La construction de connaissances par l’observation et l’explication est un processus coûteux et souvent complexe, mettant en jeu un grand nombre de personnes. Notre compréhension du monde repose donc sur le partage de connaissances et d’informations, dans la mesure où l’on dispose de moyens pour évaluer la qualité et la fiabilité des sources d’information.
Des capacités naturelles de vigilance face aux sources d’information
La compréhension de notre environnement, complexe, ne pourrait se faire uniquement au travers de nos propres observations ou expériences. Au contraire, les informations que nous obtenons par l’apprentissage (de nos parents, de nos enseignants) ou par l’échange nous aident à comprendre plus rapidement et plus efficacement notre monde.
Parmi les informations que nous recevons, certaines sont destinées à nous apporter des connaissances, d’autres sont fictives et n’ont pas ce rôle. Un livre de médiation scientifique et un documentaire partagent des similitudes avec un roman ou un film de science-fiction, mais leur rôle dans la construction de connaissances concernant le monde qui nous entoure n’est pas le même. Les enfants en âge scolaire savent distinguer la réalité de la fiction, et ils se réfèrent – pour cela – à des indices.
Cependant cette distinction n’est pas toujours facile à faire, et peut être volontairement brouillée par la source elle-même, comme dans les romans basés sur des faits scientifiques ou historiques, ou dans le cas des canulars. L’individu doit alors apprendre à utiliser des indices de plus en plus sophistiqués pour distinguer les différents types d’informations. Cet apprentissage est lié à l’acquisition progressive de nouvelles connaissances, de la part de l’enfant (mais aussi de l’adulte). Acquérir des connaissances factuelles sur le monde qui nous entoure aide à distinguer réalité et invention, et permet ainsi d’éviter des erreurs dans le choix des sources d’informations.
L’enfant en âge préscolaire manipule avec une certaine sophistication la distinction entre événements réels et événements fantastiques, personnages réels et personnages imaginaires : il détermine ce qui est réel ou non en attribuant certaines propriétés psychologiques, biologiques, physiques aux entités réelles, et uniquement à celles-ci. Par exemple, les organismes vivants occupent de l’espace, grandissent et ont éventuellement des pensées, mais ne peuvent pas faire des choses comme voyager instantanément à travers l’espace. L’enfant peut ainsi distinguer entre des sources d’information qui lui parlent éléments réels ou fantastiques. |
Des stratégies de vigilance
Le fait de dépendre des informations fournies par autrui implique que l’enfant ait la capacité d’évaluer les conseils des autres individus, notamment des adultes. Des stratégies de vigilance se développent avec l’âge et l’apprentissage : puisqu’il est difficile de distinguer les informations vraies des fausses, l’enfant se tourne spontanément vers une forme intuitive d’analyse des sources. Il privilégie très tôt des sources d’information par rapport à d’autres, il évalue leur fiabilité en se basant sur des critères qui sont à sa portée. L’enfant privilégie une source qui lui est familière (son enseignant par rapport à un autre enseignant de son école, par exemple), une source qu’il a identifiée comme compétente (un individu qu’il reconnaît comme expert, par exemple le médecin quand il a mal, le garagiste quand la voiture est en panne…), ou une information partagée par un grand nombre d’individus.
Les limites de la vigilance naturelle
Nos mécanismes de vigilance sont souvent efficaces, mais ils présentent des limites évidentes et peuvent générer des stratégies inappropriées d’évaluation des sources d’information. La multiplicité de ces dernières caractérise notre société, et met nos compétences de vigilance particulièrement à l’épreuve.
Autre biais dans notre vigilance naturelle : notre familiarité ou notre sentiment de compétence vis-à-vis d’un sujet peuvent engendrer en nous un excès de confiance conduisant à un biais d’évaluation des sources : nous pouvons être tentés de donner en priorité crédit aux informations et sources qui confortent notre point de vue.
Enfin, nous pouvons avoir tendance à donner plus de crédit à une information largement partagée, au détriment d’une opinion minoritaire (dans un effet de « conformisme » : « puisque tout le monde partage une opinion, c’est donc qu’elle est vraie »), ou céder à des biais comme ceux liés au prestige de la source (« une célébrité de cinéma ou un prix Nobel de littérature soutient telle idée, c’est donc qu’elle doit être vraie »)… voire, par proximité et presque par « contagion », à toute personne proche de l’entité prestigieuse.
A ceci s’ajoutent les nombreuses formes de manipulation de l’information dont nous pouvons faire l’objet : images truquées ou simplement habilement agencées, présentées de manière suggestive ; utilisation d’idées attrayantes, présentées de manière à dépasser les limites de notre vigilance, à exploiter nos biais de raisonnement ; appels à l’autorité, etc.
Confiance et vigilance à l’ère d’Internet Nous avons besoin de nous fier aux autres. Cela est d’autant plus vrai lorsque nous avons besoin d’utiliser des connaissances qu’il serait coûteux d’acquérir, ou qui ne sont pas à notre portée. Comment réparer un robinet ? Nous avons le choix entre – d’un côté – utiliser notre intuition et nous lancer dans beaucoup d’essais (et d’erreurs), et – de l’autre – chercher l’aide d’une « expertise ». Ces « expertises » sont de plus en plus présentes sur la Toile (par exemple sous forme de tutoriels en vidéo concernant la réparation des robinets), avec des informations potentiellement utiles. Internet représente donc une opportunité inédite d’accès à des informations, mais cette opportunité n’est réelle que si nous sommes capables de faire confiance aux autres de façon rationnelle, sans tomber dans la crédulité. |
Les rumeurs se propagent
Même sans mettre en cause des formes volontaires de manipulation de l’opinion, il existe de nombreuses manières dont des idées fausses peuvent être mises et maintenues en circulation.
Les idées circulent et – ce faisant – elles se modifient, s’adaptent. Certaines idées sont plus attrayantes que d’autres pour notre cerveau, elles trompent donc plus facilement notre vigilance. C’est le cas des idées qui nous fournissent des explications simples et satisfaisantes (du moins d’un point de vue émotionnel) pour des mystères, pour des événements difficiles à comprendre ou inquiétants. Notamment, quand elles permettent de relier plusieurs éléments disparates dans un même et unique cadre (et d’éliminer ainsi le rôle du hasard).
Enfin, une idée n’est pas seulement un contenu qui circule mais aussi un « objet » que nous partageons et qui nous rend semblables, pouvant ainsi devenir une part importante de l’identité d’un groupe de personnes. Dans le cas inverse, une idée peut aussi devenir un motif d’exclusion : ceux qui n’adhèrent pas à l’idée se désolidarisent du groupe. Un groupe soudé par une idée tend donc à se renfermer sur lui-même, à renforcer progressivement cette dernière jusqu’à la rendre plus extrême, plus difficile à partager par d’autres, plus exclusive. Evaluer de façon objective l’idée devient alors de plus en plus difficile pour le groupe.
Ces ingrédients, et d’autres encore, font le succès des canulars, des théories du complot, des légendes urbaines…
Canulars et autres formes de désinformation
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Évaluer de façon experte, à la manière d’un scientifique
Prendre conscience des limites de notre vigilance et des pièges de notre fonctionnement cognitif est un pas nécessaire pour comprendre le besoin de bonnes stratégies de vérification de l’information. Même si elle n’est bien sûr pas la seule à en mettre en œuvre, la pratique des sciences inclut plusieurs stratégies de vérification des sources d’information.
L’historien, l’inspecteur de police, le scientifique doivent en permanence être capables d’évaluer la qualité des sources d’information dont ils disposent. Leur travail les amène à remonter à la source d’une information et à en évaluer la fiabilité. Ils ont appris à distinguer les sources d’information primaires de celles qui sont secondaires et donc moins fiables. |
Les sciences : une modalité contrôlée et publique de production des connaissances
Les chercheurs de profession ont mis en place un système pour augmenter la fiabilité de leurs connaissances et les mettre à l’abri, autant que possible, de certaines tendances naturelles de notre esprit. L’application d’une méthode rigoureusement scientifique permet de garantir que les connaissances produites sont le résultat d’un processus contrôlé, ayant fait ses preuves. La nature publique de la recherche scientifique fait qu’une connaissance scientifique est le fruit d’un effort collectif, où la tendance à confirmer ses propres idées est contrebalancée par la « compétition » des idées de différents chercheurs. La publication des résultats de recherche dans des revues spécialisées où des pairs vérifient (autant que possible) les contenus proposés, permet de garantir le fait que l’information qui circule a été passée au crible d’experts indépendants, dans le même domaine.
Une confiance nécessaire et justifiée
Il était peut-être encore possible, à l’époque de Newton, que des citoyens éclairés possèdent une vision détaillée de l’ensemble des sciences et des connaissances en vigueur. De nos jours, cette entreprise est impossible pour quiconque, la recherche scientifique ayant accumulé, au cours des siècles, une masse gigantesque de connaissances. Ces connaissances ont atteint un niveau de spécialisation tel que leur maîtrise nécessite de disposer d’outils (mathématiques, méthodologiques…) et de nombreuses connaissances annexes. L’effet quelque peu paradoxal de cette montée en puissance est que nous sommes obligés, bien souvent, de nous fier aux sciences et aux scientifiques, car on ne peut pas tout vérifier par nous-mêmes, tout le temps. Se fier aux sciences ne revient pas, cependant, à croire aveuglement en son autorité. On peut raisonnablement se fier aux sciences parce que la connaissance scientifique est le résultat d’une méthodologie. C’est cela qui fait la différence entre une confiance raisonnée et le simple attachement à une croyance.
Il en est d’ailleurs de même entre scientifiques. Lors de la publication d’un travail, de recherche, il arrive souvent qu’on le lise puis qu’on le cite sans vérifier la totalité de ce qui est affirmé. La solidité du travail dépend alors de la confiance que chacun estime pouvoir donner aux autres auteurs et aux méthodes qu’ils ont employées.
Les sciences ne sont pas à l’abri d’erreurs involontaires ou de fraudes sciemment perpétrées. Toutefois, le double mécanisme de la méthode rigoureuse et du contrôle par les pairs justifie que l’on compte principalement sur elles pour élargir notre connaissance, du monde et de nous-mêmes.
Les sciences face aux enjeux vitaux de la désinformation
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